Formation professionnelle : le port du cerveau adaptatif sera obligatoire en 2022

La Commission Ministérielle pour l’Innovation des Méthodes d’Apprentissage (COMIMA), engagée depuis janvier sur les « questions pédagogiques non idéologiques mais scientifiques » – comme aime rappeler sa mission, non sans un sourire, son président Jean-Yves Neuronec (député UDI de l’Essone) a rendu ses recommandations ce vendredi 08 janvier 2021 à Paris. Sans attendre le gouvernement s’est dit très satisfait et favorable à adopter dès 2022 les mesures préconisées, et à mener la petite révolution que va progressivement vivre la formation professionnelle et plus largement la pédagogie et l’éducation. Interview de quelques membres de la Commission suite à la présentation de leurs conclusions.

 

Pourquoi une Commission sur les méthodes d’apprentissages ? Faisons-nous à ce point fausse route ?

Paul Valéryan (PS, Bouches-du-Rhône) : J’ai toujours dit que si l’Homme sait assez souvent ce qu’il fait, il ne sait jamais ce que fait ce qu’il fait. Dire que telle méthode est mieux pour apprendre qu’une autre, ma foi pourquoi pas, mais il faut des arguments et surtout évaluer les méthodes. Aujourd’hui, force est de constater que ces deux aspects demeurent pauvres, pour ne pas dire vides.

La Commission a mis notamment l’accent sur l’intérêt des neurosciences dans l’apprentissage, pour quelles raisons ?

Alain Berthozin (EELV, Oise) : Si vous croyez encore par exemple qu’un cerveau est une machine qui prend des informations, les traite puis génère de l’action, alors effectivement vous aurez tendance si vous êtes pédagogue à gaver vos élèves de savoirs, espérant qu’ils restituent fidèlement ce que vous leur racontez. Vous risquez d’être déçu du résultat, non parce que vos élèves sont idiots mais parce qu’un cerveau ne fonctionne pas comme cela ! C’est un organe simulateur[1], nous avons donc besoin de nous projeter quand quelqu’un veut nous faire passer un message. S’intéresser aux neurosciences aujourd’hui dans la formation, ce n’est pas un luxe mais une nécessité.

Didier Naudeau (Front de gauche, Ariège) : Je suis complètement d’accord avec mon collègue et j’ajouterai que, pour ce qui est de la mémoire – car comment apprendre sans mémoriser ? – il n’y a pas UNE mémoire mais DES systèmes de mémoire. Si on ne s’intéresse pas à cette fonction cognitive et à ses différentes composantes, comment garantir que les compétences à acquérir vont être intégrées par les participants ? Les neurosciences valident l’intérêt de bouger, de diversifier les stimuli, de ne pas saturer la mémoire à court terme par exemple. Les cours constamment assis, à « gratter », ça ne devrait plus exister ! A vouloir transmettre de la même manière pour tout le monde, à souhaiter uniformiser les façons d’agir entre autres au travail, on démotive vite car les individus se sentent interchangeables[2], en quête d’identité.

Antonio Damasioni (Les Républicains, Drôme) : Pour motiver à apprendre, il faut faire appel aux émotions[3]. Les phases du processus de décision, toujours soutenue par le désir, l’envie, ne sont pas gérées au même endroit dans le cerveau. On pourrait imaginer un apprentissage plus spécifique selon ces phases. Ce que je veux dire en tout cas, c’est que si on ne s’intéresse pas au vécu des personnes, à leur histoire, qu’on les aborde froidement (sur le plan émotionnel) avec des savoirs et savoir-faire juste à absorber et à recracher, la pédagogie poursuivra sa faillite.

Une mesure phare, sur laquelle le gouvernement s’est d’ores et déjà engagé quant à son application en 2020, est le port du « cerveau adaptatif ». De quoi s’agit-il exactement ?

Jacques Fradinski (MoDem, Isère) : Il faut bien préciser les choses, il ne s’agit pas d’un casque ! J’ai senti la crainte de certaines associations de parents d’élèves et de quelques représentants de la formation professionnelle. C’est une image pour surtout faire réagir : le monde va vite et notre cerveau ne suit pas. Pas parce qu’il ne peut pas le faire, pas parce qu’on ne peut pas changer le cours des évènements, mais parce qu’on n’apprend pas – ça n’est pas dans notre culture – à sortir de nos automatismes de pensée, à gérer nos émotions, à s’observer et à prendre du recul pour bien poser les problèmes. Le stress dont on parle beaucoup mérite d’être interprété comme une alarme pour basculer sur un registre mental plus souple et adapté[4]. C’est cela le « port du cerveau adaptatif », et tout le monde y a accès ! Le rendre obligatoire en 2022 pour la formation professionnelle, je ne suis pas d’accord et je l’ai dit : pourquoi pas tout de suite ?!?

Olivier Houdéyet (sans étiquette, Paris) : Tout à fait il faut apprendre à raisonner, c’est-à-dire apprendre à inhiber les idées « toutes prêtes » qui occupent par défaut l’esprit sur tel sujet ou telle question. Le « cerveau adaptatif » c’est un 3e système dans la tête[5], derrière le front, qui vient empêcher les assauts inadaptés du 1er système automatique, pour faire en sorte que le 2e système, la logique, opère quand il faut. Ce n’est pas si long que cela à acquérir, la logique ! L’intelligence, ça n’est pas d’en savoir beaucoup, mais se poser les bonnes questions. Il était temps qu’une telle Commission se réunisse pour faire bouger les choses.

Stanislas Dehaenenon (PS, Aquitaine) : Pour moi enseigner est une science[6], il faut évaluer les méthodes. Regarder par exemple l’apprentissage de la lecture, la méthode syllabique semble être plus efficiente que la méthode mixte. Ce n’est pas un hasard : pour tout le monde une même zone du cerveau permet d’apprendre à lire, et elle est stimulée par le décodage de ce qui est écrit couplé à sa prononciation, pas à pas. Pourquoi alors continuer à persévérer avec les méthodes qui marchent moins bien ? C’est cela aussi le « cerveau adaptatif » : arrêtez dans une voie pour en exploiter d’autres. C’est la base de la créativité.

 

Les neurosciences ne seraient-elles pas justement en train de décider à notre place ?

Jean-Philippe Lachauxy (Chasse Pêche Nature et Traditions, Corse) : Oui il faut faire attention. Les neurosciences sont une aide précieuse mais elles ne prétendent pas être la source de toute vérité. Elles aiguillent, donnent de nouvelles pistes, c’est tout. Sur l’attention par exemple, on peut apprendre à l’entrainer pour ne pas se laisser distraire par l’environnement sur-stimulant d’aujourd’hui. Les neurosciences cognitives proposent ces nouvelles pistes[7].

Propos recueillis par Philippe Barelotti. Plus d’informations sur les formations innovantes en management par la posture adaptative ? Nous sommes à votre disposition chez L’Equipae !

[1] Voir les ouvrages d’Alain Berthoz, comme La Décision, Odile Jacob, Paris, 2003
[2] Voir la contribution de Didier Naud dans Anticipation et prédiction, sous la direction d’Alain Berthoz et Claude Debru, Odile Jacob, Paris, 2015
[3] Sur le rôle des émotions dans la cognition, voir notamment Antonio Damasio, L’erreur de Descartes, Odile Jacob, Paris, 1995
[4] Jacques Fradin, L’intelligence du stress, Eyrolles, Paris, 2008
[5] Voir les ouvrages d’Olivier Houdé, comme Le raisonnement, PUF, 2014
[6] Stanislas Dehaene, Enseigner est une science, journal Le Monde du 20 décembre 2013
[7] Jean-Philippe Lachaux, Le cerveau funambule, Odile Jacob, Paris, 2015

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