Sport : ce que la psychologie nous apprend sur les conduites à risque
Sport : ce que la psychologie nous apprend sur les conduites à risques Qu’est-ce qui motive certaines personnes à pratiquer des sports à risques ou
Qu’est-ce qui motive certaines personnes à pratiquer des sports à risques ou extrêmes, comme le parapente, l’apnée profonde, le base jump[1] ou wingsuit[2] ? Quels liens existent-il entre psychologie et blessures physiques en pratique sportive ? Quels sont les facteurs psychologiques liés au dopage ? Et dans les conduites à risque, y a-t-il des différences entre les hommes et les femmes ? Quelles particularités présentent les jeunes ? Petit tour d’horizon sur ces questions.
Définitions et chiffres clés
Si la notion de risque semble comporter à la fois la possibilité de récompenses et la probabilité de dommages, une conduite à risque peut se définir comme un ensemble de comportements qui augmentent la probabilité d’effets adverses [au gain escompté] sur le plan physique, social ou psychologique[3]. Un sport est à risques quand dans sa pratique la possibilité de blessures graves ou de mort a été acceptée comme partie inhérente à l’activité[4].
Si des individus décident de courir un risque suffisamment important pouvant mettre leur vie en péril (risque létal immédiat ou différé), on peut supposer, de prime abord, que le « jeu en vaille la chandelle ». Il est alors intéressant de se pencher sur les déterminants psychologiques (causes) des conduites sportives à risque, qui poussent à s’engager dans des sports extrêmes – actuellement en vogue – et pour certains à y adopter des comportements imprudents. La littérature sur le sujet semblent mettre en lumière deux composantes : les traits de personnalité et la régulation des émotions[5]. Les conduites à risque en sport invitent également à s’intéresser au dopage et aux conduites dopantes.
Quelques chiffres : le base jump est à l’origine de 22 décès dans le monde en 2013 (81% en wingsuit)[6] ; 20% des accidentés sportifs français en 2010 âgés de plus de 15 ans déclarent comme raison de pratique « le risque », ce qui en fait la deuxième motivation derrière « la gagne, la compétition, la performance » (22%)[7] ; sur les 246 décès traumatiques liés à la pratique sportive en France métropolitaine en 2010 (sept fois plus d’hommes que de femmes), les sports de montagne ont été les plus meurtriers (99) suivis des sports aquatiques (50)[8] ; 5 à 15% des sportifs adultes amateurs disent recourir au dopage[9].
L’influence de la personnalité
On entend par personnalité les caractéristiques relativement stables et générales de la manière d’être d’un individu dans sa façon de réagir à un contexte donné. On distingue les types et les traits de personnalité : « les types sont peu nombreux, fondamentaux (décrivent l’essence de la personnalité d’un individu), exclusifs (théoriquement une personne ne peut avoir qu’un type), discontinus (présence du type ou non). Les traits sont nombreux, fondamentaux ou superficiels (peuvent contenir différents sub-traits), non exclusifs (on peut avoir plusieurs traits de personnalité), et continus (on présente un trait à des degrés variables). Enfin, les types recouvrent les traits »[10].
Le trait Recherche de sensations, notamment la recherche de danger et d’aventure, apparaît faire consensus dans la littérature chez les pratiquants de sports à risques, trait significativement plus élevé que les personnes ne pratiquant pas ce genre d’activité. Les sports à risques constituent donc un accès particulièrement favorable au gain de sensations. Cependant, puisqu’il n’y a pas forcément de lien entre la fréquence des accidents et ce trait de personnalité, être un « chercheur de sensations » ne signifie pas nécessairement être un « preneur de risques » [11].
Parmi les dimensions de base de la personnalité, le névrosisme (prédisposition à ressentir des émotions négatives) et l’extraversion (recherche d’interactions sociales et de stimulations nouvelles) pourraient être en lien avec l’adoption de comportements imprudents[12]. Un lien semble également exister entre l’engagement dans des activités à risques et l’impulsivité (fait d’agir sur le vif sans avoir conscience des risques encourus)[13]. Il apparaît aussi y avoir une relation positive entre les activités à risques (escalade, alpinisme) et la stabilité émotionnelle ou l’absence d’anxiété[14]. Dans ce cas, si l’on peut comprendre qu’avec la pratique se développent des aptitudes mentales et physiques pour faire face aux situations (contrairement à l’état de stress, l’état de calme est classiquement associé à des comportements adaptés[15]), on peut aussi envisager un engagement imprudent dans les sports à risques avec peu de stress par surévaluation de ses capacités pour affronter le danger(comportement inadapté). Ce biais d’excès de confiance est retrouvé entre autres chez les individus narcissiques[16] – sentiment de supériorité par rapport aux autres, excès de confiance en soi et dans ses capacités -, le narcissisme pouvant être entendu comme trait stable de la personnalité, hors champ pathologique.
La motivation Recherche de sensations dans la pratique des sports à risques apparaît être moins marquée chez les femmes que chez les hommes, alors que les facteurs psycho-affectifs le sont davantage. Les femmes professionnelles des sports à risques prendraient plutôt des risques réfléchis par rapport aux non professionnelles, démontrant une prise de conscience des enjeux liés au danger, et auraient clairement dépassé le besoin de reconnaissance. Parallèlement, les femmes non professionnelles évoluent plus dans une logique de défi et cherchent à repousser leurs limites, et exposent un besoin de reconnaissance[17].
Emotions, conduites à risques et blessures physiques
Les états émotionnels négatifs (affectivité négative) seraient liés aux comportements à risques : ces derniers permettraient de réguler les émotions en écartant par l’activité les vécus déplaisants[18]. Si la pratique d’activités à sensations fortes peut s’inscrire dans une recherche de valorisation sociale et psychologique chez des sujets bien équilibrés, elle peut aussi apparaître comme un moyen thérapeutique d’autorégulation émotionnelle, une « fuite de la conscience de soi » pour oublier les problèmes[19].
Les troubles émotionnels comme l’anhédonie (perte de la capacité à éprouver du plaisir) et l’alexithymie(difficulté à différencier et à verbaliser les émotions) semblent être liés à la prise de risques, par l’apport de sensations immédiatement accessibles que procurent les sports à risques[20].
Les femmes non professionnelles engagées dans les sports à risques ont une identité de genre plus masculine (leadership, sportivité, confiance en soi) et moins féminine (tendresse, attention), et semblent davantage présenter de troubles émotionnels (difficultés à reconnaître et décrire ses émotions, tendance à l’impulsivité) que les femmes ne pratiquant pas de sports à risques. Les femmes qui ont fait la prise de risque leur métier ont une identité de genre plus féminine que les non professionnelles, et semblent plus équilibrées d’un point de vue émotionnel et moins impulsives que les non professionnelles et celles qui ne pratiquent pas de sports à risques[21].
Concernant les liens entre psychologie (le rôle du stress en particulier) et blessure physique en sport, une revue de la littérature de 2007 évoque entre autres points les éléments suivants[22] :
Chez les jeunes[23] :
Dopage et conduites dopantes
« On parle de conduite dopante lorsqu’une substance (vitamine, médicament, stupéfiant, etc.) est utilisée dans le but de surmonter un obstacle, que celui-ci soit réel ou supposé, à des fins de performance[24]. L’obstacle peut être un examen, un entretien d’embauche, un travail difficile et/ou pénible, une épreuve sportive, etc.
Le dopage, lui, ne concerne que les sportifs qui, dans le cadre de compétitions ou de manifestations organisées par les fédérations, utilisent des substances ou des méthodes inscrites sur une liste établie chaque année par l’Agence mondiale antidopage (AMA). Sans autorisation d’usage à des fins thérapeutiques (AUT) délivrée par l’AFLD (Agence Française de Lutte contre le Dopage), c’est une pratique interdite »[25].
1 à 5% des sportifs de loisirs disent recourir au dopage. 3 à 5% des enfants et adolescents sportifs recourent à des produits dopants, et ce chiffre augmente avec l’âge. Ce serait 5 à 15% chez les sportifs adultes amateurs. Les pourcentages sont plus élevés chez les hommes, les 20-25 ans, les compétiteurs et ils augmentent avec le niveau de compétition (surtout de haut-niveau)[26]. Les filles consomment plus fréquemment des produits pour améliorer leurs performances intellectuelles et scolaires, et les garçons consomment deux fois plus que les filles des produits pour améliorer leurs performances physiques et sportives[27]. Le dopage semble plus élevé chez les sportifs dont la pratique par semaine dépasse les 8-12h[28]. Environ un tiers des adolescents estime qu’on peut se doper sans danger pour sa santé avec les conseils d’un médecin. Il s’agit surtout de garçons, usagers de produits dopants et fumeurs de tabac ou de cannabis. Environ un adolescent sur cinq estime que refuser le dopage signifie perdre ses chances de devenir un grand champion[29].
Plusieurs facteurs, outre ceux déjà cités, peuvent motiver une conduite dopante et/ou un dopage sportif[30] :
A propos des rapports entre sport, dopage et addiction, trois niveaux de liens peuvent être décrits[31] :
Les données aujourd’hui disponibles sur les conduites à risques en sport devraient permettre d’envisager des interventions efficientes de prévention.
[1] Saut en parachute en s’élançant d’un point fixe depuis les supports suivants : immeubles, antennes, ponts, falaises (BASE : Buildings, Antennas, Spans, Earth)
[2] Saut en parachute avec une combinaison en forme d’aile qui augmente le déplacement horizontal
[3] Carr-Gregg MRC, Enderby KC, Grover SR – Risk-taking behaviour of young women in Australia: screening for health-risk behaviours. MJA 178 (12): 601-604, 2003
[4] Breivik G. – Personality, sensation seeking and arousal in high risk sports, Oslo : Norwegian University of Sport and Physical Education., 1995
[5] Voir notamment sur le sujet Castanier et Le Scanff : Influence de la personnalité et des dispositions émotionnelles sur les conduites sportives à risques : une revue de littérature, Science & Motricité, 67, 39-78, 2009
[6] David M. – Base jump et accidentologie, description et évolution récente, Thèse pour l’obtention du diplôme d’état de docteur en médecine, 2014
[7] Elfeki Mhiri S., Lefevre B. – Les accidents liés à la pratique des activités physiques et sportives en 2010, bulletin de statistiques et d’études, N°12-5, décembre 2012
[8] Rigou A. et al. – Une estimation des décès traumatiques liés à la pratique sportive en France métropolitaine, en 2010, Journal de Traumatologie du Sport, Vol 30, N° 3, 2013
[9] Laure P. – Epidémiologie du dopage, IBS, Elsevier, volume 16, issue 2, pages 96-100, 2001
[10] Bonnet A. – Régulation émotionnelle et conduites à risque, thèse pour le doctorat de psychologie, Université Aix-Marseille I, 2003, p.52
[11] Zuckerman M. – Behavioural Expressions and Biosocial Bases of Sensation Seeking, New York: Cambridge University Press, 1994
[12] Castanier C., Le Scanff C. – Influence de la personnalité et des dispositions émotionnelles sur les conduites sportives à risques : une revue de littérature, Science & Motricité, 67, 2009, p.57
[13] Si théoriquement l’impulsivité laisse présager des conduites à risques, les résultats sont contradictoires dans les études.
[14] Robinson D.W. – Stress seeking: Selected behavioural characteristics of elite rock climbers, Journal of Sport Psychology, 7, 400-404, 1985
[15] Beck A. – Cognitive approach to stress, in C. Lehrer & R. Woolfolk (Eds.), Clinical guide to stress management, The Guilford Press, New York, 1984
[16] Gibas D. – Etude des déterminants psychologiques de la prise de risque financière : comparaison avec les sports extrêmes, thèse de doctorat, Université Paris Sud, 2013
[17] Cazenave N. & al. – Etude des enjeux psychologiques dans la pratique féminine des sports à risques, Annales Médico-Psychologiques, 166, 850–857, 2008
[18] Bonnet A. & al. – Bien-être subjectif et régulation émotionnelle dans les conduites à risque, cas de la plongée sous-marine, L’Encéphale, 29, 488-497, 2003
[19] Lafollie D. & Le Scanff C. – Détection des personnalités à risque dans les sports à sensations fortes, L’Encéphale, 33, 135-141, 2007 – Taylor R.L. & Hamilton J.C. – Preliminary evidence for the role of self-regulatory processes in sensation seeking. Anxiety, Stress, and Coping, 10, 351-375, 1997
[20] Franken I.H.A., & al. – Are nonpharmacological induced rewards related to anhedonia? A study among skydivers. Progress in Neuro- Psychopharmacology and Biological Psychiatry, 30, 297 300, 2006 – Lafollie D. & Le Scanff C. – Détection des personnalités à risque dans les sports à sensations fortes, L’Encéphale, 33, 135-141, 2007
[21] Cazenave N. & al. – Spécificité de la prise de risque chez les femmes, Symposium ACAPS 2003, Toulouse : Déterminants psychosociologiques de la prise de risque
[22] Deroche T. & al. – Les déterminants psychologiques de la blessure physique du sportif : une revue de la littérature, PSYCHOLOGIE FRANCAISE , vol. 52 n° 4 : p. 389-402, 2007
[23] Bantuelle M., Demeulemeester R. (sous la direction de) – Comportements à risque et santé : agir en milieu scolaire, éditions INPES, 2008, p.56
[24] Laure P. – Dopage et société, Ellipses, 2000.
[25] Le Lay E. & al. – Performances, dopage et conduites dopantes, INPES, juillet 2008
[26] Laure P. – Epidémiologie du dopage, IBS, Elsevier, volume 16, issue 2, pages 96-100, 2001
[27] Beck F. & al. – Sport et usages de produits psychoactifs dans les enquêtes quantitatives auprès des jeunes scolarisés : quelles interprétations sociologiques ?, dans Faugeron C. & Kokoreff M. – Société avec drogue. Enjeux et limites, Erès, Ramonville-Ste-Agne, 2002, p. 99-125
[28] Choquet M. & al. – Jeunes, sport, conduites à risques, rapport au Ministère de la Jeunesse et des Sports, Paris, 1999
[29] Laure P. & al. – Adolescents sportifs et conduites dopantes, Symposium ACAPS 2003, Toulouse : Déterminants psychosociologiques de la prise de risque
[30] Le Lay E. & al. – Performances, dopage et conduites dopantes, INPES, juillet 2008
[31] Mangon E., Simon S. – Sport, dopage et addiction : « les liaisons dangereuses », revue THS, mars 2004, p.1072-1074
Sport : ce que la psychologie nous apprend sur les conduites à risques Qu’est-ce qui motive certaines personnes à pratiquer des sports à risques ou
Formation professionnelle : le port du cerveau adaptatif sera obligatoire en 2022 La Commission Ministérielle pour l’Innovation des Méthodes d’Apprentissage (COMIMA), engagée depuis janvier sur
Dispositif FNE-Formation Rebond : votre formation en prise en charge à hauteur de 70% Depuis le 1er novembre 2020, grâce au dispositif élargi FNE-Formation Rebond,
Se savoir incompétent pour progresser En faire des pages et des tirades sur ses compétences, c’est bien, mais savons-nous tout aussi bien parler de nos
Halte au leadership négatif ! Si en terme de développement du leadership l’attention se porte sur les recettes, il serait regrettable de ne pas s’intéresser
© 2020 L’equipae. Tous droits réservés – Design Volpiz – SEO Rédactographe